Les élèves du Club Lecture - Prix lycéen du livre d'histoire et Prix lycéen du livre de géographie - ont échangé avec Omer Bartov, professeur d'histoire européenne et de germanistique à l'université Brown, aux États-Unis, spécialisé dans l'étude de la Shoah.
Par Raphael B., élève de 1°2
Les membres du club de lecture ont eu l’opportunité unique de rencontrer l’auteur et historien américano-israélien Omer Bartov le 23 mai dernier, lors d’une visioconférence qui a rassemblé une centaine de personnes de divers lycées de France et de l’étranger.
Omer Bartov nous a parlé en anglais de son livre L’anatomie d’un génocide, un ouvrage important qui a reçu plusieurs prix dont le prix international du livre de Yad Vashem, le mémorial israélien des victimes juives de la Shoah. L’ouvrage, originellement publié en anglais en 2018, fut rapidement traduit en polonais, en allemand, et en hébreu. La traduction française est parue en 2021. Le traducteur du livre en français, Marc-Olivier Bherer, a servi comme interprète lors de la réunion pour les élèves ne parlant pas anglais, mais n’a pas simplement traduit les paroles de l’auteur : il a contribué à la discussion et a étoffé et clarifié les propos de Bartov.
L’anatomie d’un génocide a ceci d’unique qu’il se focalise sur un bourg particulier, Buczacz, dont la famille de l’auteur était issue. La méthode de l’historien consiste à écrire l’histoire de cette ville à travers les nombreux témoignages de ses habitants. Buczacz, en Galicie de l’Est, se trouve aujourd’hui en Ukraine occidentale. Mais à l’aube de la Seconde guerre mondiale, cette région appartenait à la Pologne, avant d’être occupée par l’Union Soviétique lors du conflit. Entre les deux guerres mondiales, Buczacz était une ville dont la population juive était importante. Rappelons qu’avant la guerre, il y avait plus de 3 millions de juifs en Pologne. La quasi-totalité d’entre eux furent assassinés par les nazis. L’histoire des habitants de Buczacz représente donc la destinée de la grande majorité des juifs de Pologne.
Omer Bartov nous a expliqué que le travail de recherche et d’écriture de son ouvrage lui a pris près d’une vingtaine d’années. Il a interviewé environ 300 personnes : des survivants, mais aussi des Polonais et des anciens nazis. Le pari de ce livre est de tenter d’écrire l’histoire dans ce qu’elle a d’universel par le biais du recueil de témoignages intimement personnels. Il nous a confié que ces conversations étaient très pénibles, car elles évoquaient des évènements souvent traumatisants. En particulier, il nous a relaté à quel point la prise de connaissance de meurtres de petites filles l’avait touché profondément, car sa propre fille avait le même âge que les victimes. Il nous a d’ailleurs indiqué que la difficulté émotionnelle d’être confronté de si près à ces évènements explique que ce genre de recherche est rare.
Une des idées importantes du livre est qu’il identifie certains mécanismes sociétaux qui créent un terrain favorable à des processus potentiellement génocidaires. Son étude du génocide particulier des juifs d’Europe de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale le mène à développer des hypothèses plus larges sur les conditions qui peuvent mener au génocide en général. Les idéologies sociétales sous-jacentes y jouent un rôle primordial. Le processus commence à l’échelle locale par une aliénation et une exclusion de certaines populations, basée sur une perception qu’ils n’appartiennent pas à un « groupe de solidarité » partagé par la majorité. Ce processus est par ailleurs stimulé par un ethno-nationalisme nourrissant des idéologies qui vise à créer des nations « pures », en excluant certains groupes humains, selon une logique d’exclusion et d’expansion.
Malgré l’énormité de la tragédie à laquelle il a été confronté de manière intime, Omer Bartov nous dit qu’il n’a pas pour autant perdu sa foi en l’humanité. Une idée forte qu’il développe est que, bien que les êtres humains soient capables de commettre des génocides, la plupart des gens ne sont pas des monstres : ce sont les circonstances historiques et sociales qui font que les êtres humains commettent des atrocités de cette ampleur. Le message principal est donc que, bien que l’on ne puisse pas changer la nature profonde de l’humanité, il faut tenter de changer les circonstances qui peuvent la mener au génocide.
Les élèves du club de lecture ont beaucoup aimé ce livre, car il traite d’un sujet important, non seulement historique, mais qui résonne aussi aujourd’hui. En particulier, la guerre en Ukraine se passe sur la même géographie que celle de l’ouvrage, et met en relief des idéologies elles aussi destructrices. Ce nouveau conflit met en relief deux historiographies de l’Ukraine qui s’opposent fondamentalement, selon qu’elles proviennent de la Russie ou de l’Ukraine. Pour Poutine, l’opération militaire en Ukraine a pour objectif une « dénazification » du territoire ukrainien qui devrait selon lui revenir légitimement à la Russie, en continuation symbolique de la Grande Guerre patriotique (c’est ainsi que les russes appellent la Seconde Guerre mondiale). Pour le gouvernement et la majorité du peuple ukrainien, ce conflit rappelle leur difficulté historique à préserver leur souveraineté et leur indépendance.
Cette rencontre nous a montré à quel point l’histoire, qui se compose de récits personnels individuels, est essentielle pour éclairer les évènements contemporains qui touchent notre génération. Ce cas particulier de la ville de Buczacz a une dimension générale, étant une clé de compréhension sur les mécanismes génocidaires pour le lecteur, d’où le titre Anatomie d’un Génocide : le modèle du corps humain est transposé au génocide, ils sont tous différents mais de nombreux éléments ne varient pas. Omer Bartov nous enseigne que pour éviter de futurs génocides, il est essentiel d’enseigner aux jeunes une histoire nationale et identitaire qui n’incite pas à la victimisation et à la violence.
Les élèves du Club Lecture - Prix lycéen du livre d'histoire et Prix lycéen du livre de géographie - ont échangé avec Omer Bartov, professeur d'histoire européenne et de germanistique à l'université Brown, aux États-Unis, spécialisé dans l'étude de la Shoah.
Par Raphael B., élève de 1°2
Les membres du club de lecture ont eu l’opportunité unique de rencontrer l’auteur et historien américano-israélien Omer Bartov le 23 mai dernier, lors d’une visioconférence qui a rassemblé une centaine de personnes de divers lycées de France et de l’étranger.
Omer Bartov nous a parlé en anglais de son livre L’anatomie d’un génocide, un ouvrage important qui a reçu plusieurs prix dont le prix international du livre de Yad Vashem, le mémorial israélien des victimes juives de la Shoah. L’ouvrage, originellement publié en anglais en 2018, fut rapidement traduit en polonais, en allemand, et en hébreu. La traduction française est parue en 2021. Le traducteur du livre en français, Marc-Olivier Bherer, a servi comme interprète lors de la réunion pour les élèves ne parlant pas anglais, mais n’a pas simplement traduit les paroles de l’auteur : il a contribué à la discussion et a étoffé et clarifié les propos de Bartov.
L’anatomie d’un génocide a ceci d’unique qu’il se focalise sur un bourg particulier, Buczacz, dont la famille de l’auteur était issue. La méthode de l’historien consiste à écrire l’histoire de cette ville à travers les nombreux témoignages de ses habitants. Buczacz, en Galicie de l’Est, se trouve aujourd’hui en Ukraine occidentale. Mais à l’aube de la Seconde guerre mondiale, cette région appartenait à la Pologne, avant d’être occupée par l’Union Soviétique lors du conflit. Entre les deux guerres mondiales, Buczacz était une ville dont la population juive était importante. Rappelons qu’avant la guerre, il y avait plus de 3 millions de juifs en Pologne. La quasi-totalité d’entre eux furent assassinés par les nazis. L’histoire des habitants de Buczacz représente donc la destinée de la grande majorité des juifs de Pologne.
Omer Bartov nous a expliqué que le travail de recherche et d’écriture de son ouvrage lui a pris près d’une vingtaine d’années. Il a interviewé environ 300 personnes : des survivants, mais aussi des Polonais et des anciens nazis. Le pari de ce livre est de tenter d’écrire l’histoire dans ce qu’elle a d’universel par le biais du recueil de témoignages intimement personnels. Il nous a confié que ces conversations étaient très pénibles, car elles évoquaient des évènements souvent traumatisants. En particulier, il nous a relaté à quel point la prise de connaissance de meurtres de petites filles l’avait touché profondément, car sa propre fille avait le même âge que les victimes. Il nous a d’ailleurs indiqué que la difficulté émotionnelle d’être confronté de si près à ces évènements explique que ce genre de recherche est rare.
Une des idées importantes du livre est qu’il identifie certains mécanismes sociétaux qui créent un terrain favorable à des processus potentiellement génocidaires. Son étude du génocide particulier des juifs d’Europe de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale le mène à développer des hypothèses plus larges sur les conditions qui peuvent mener au génocide en général. Les idéologies sociétales sous-jacentes y jouent un rôle primordial. Le processus commence à l’échelle locale par une aliénation et une exclusion de certaines populations, basée sur une perception qu’ils n’appartiennent pas à un « groupe de solidarité » partagé par la majorité. Ce processus est par ailleurs stimulé par un ethno-nationalisme nourrissant des idéologies qui vise à créer des nations « pures », en excluant certains groupes humains, selon une logique d’exclusion et d’expansion.
Malgré l’énormité de la tragédie à laquelle il a été confronté de manière intime, Omer Bartov nous dit qu’il n’a pas pour autant perdu sa foi en l’humanité. Une idée forte qu’il développe est que, bien que les êtres humains soient capables de commettre des génocides, la plupart des gens ne sont pas des monstres : ce sont les circonstances historiques et sociales qui font que les êtres humains commettent des atrocités de cette ampleur. Le message principal est donc que, bien que l’on ne puisse pas changer la nature profonde de l’humanité, il faut tenter de changer les circonstances qui peuvent la mener au génocide.
Les élèves du club de lecture ont beaucoup aimé ce livre, car il traite d’un sujet important, non seulement historique, mais qui résonne aussi aujourd’hui. En particulier, la guerre en Ukraine se passe sur la même géographie que celle de l’ouvrage, et met en relief des idéologies elles aussi destructrices. Ce nouveau conflit met en relief deux historiographies de l’Ukraine qui s’opposent fondamentalement, selon qu’elles proviennent de la Russie ou de l’Ukraine. Pour Poutine, l’opération militaire en Ukraine a pour objectif une « dénazification » du territoire ukrainien qui devrait selon lui revenir légitimement à la Russie, en continuation symbolique de la Grande Guerre patriotique (c’est ainsi que les russes appellent la Seconde Guerre mondiale). Pour le gouvernement et la majorité du peuple ukrainien, ce conflit rappelle leur difficulté historique à préserver leur souveraineté et leur indépendance.
Cette rencontre nous a montré à quel point l’histoire, qui se compose de récits personnels individuels, est essentielle pour éclairer les évènements contemporains qui touchent notre génération. Ce cas particulier de la ville de Buczacz a une dimension générale, étant une clé de compréhension sur les mécanismes génocidaires pour le lecteur, d’où le titre Anatomie d’un Génocide : le modèle du corps humain est transposé au génocide, ils sont tous différents mais de nombreux éléments ne varient pas. Omer Bartov nous enseigne que pour éviter de futurs génocides, il est essentiel d’enseigner aux jeunes une histoire nationale et identitaire qui n’incite pas à la victimisation et à la violence.